pour Albertine c'était une question d'essence - René Girard : l'être inaccessible, invulnérable et cruel qui peut seul éveiller le désir

La bonne santé et la lourdeur d'Albertine enflamment son désir mais il ne faut pas imaginer là quelque sensualité rabelaisienne. Comme toujours, dans la médiation double, le matérialisme apparent cache un spiritualisme inversé. Marcel remarque qu'il est toujours séduit par ce qui lui paraît « le plus opposé à [son] excès de sensibilité douloureuse et d'intellectualité » (172). Albertine illustre clairement cette loi. Sa passivité animale, son ignorance bourgeoise des hiérarchies mondaines, son manque d'éducation, son impuissance à partager les valeurs de Marcel font d'elle l'être inaccessible, invulnérable et cruel qui peut seul éveiller le désir. Il faut rappeler, à ce propos, l'axiome si profond d'Alain : « L'amoureux veut l'âme, c'est pourquoi la sottise de la coquette fait effet de ruse... »
(...) Le coup de foudre de Marcel se ramène à la supposition qu'Albertine est insensible et brutale. Baudelaire affirmait déjà que la « bêtise » est un ornement indispensable de la beauté moderne.

- René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque

406. il faut se rappeler que les questions que je me posais à l'égard d'Albertine n'étaient pas des questions accessoires, indifférentes, des questions de détail, les seules en réalité que nous nous posions à l'égard de tous les êtres qui ne sont pas nous, ce qui nous permet de cheminer, revêtus d'une pensée imperméable, au milieu de la souffrance, du mensonge, du vice et de la mort. Non, pour Albertine c'était une question d'essence : en son fond qu'était-elle, à quoi pensait-elle, qu'aimait-elle, me mentait-elle