René Girard : Chez Proust comme chez Dostoïevski c'est le déni d'invitation, le refus brutal de l'Autre, qui déclenche le désir obsessionnel

Chez Proust, comme chez Dostoïevski, c'est un critérium négatif qui détermine le choix du médiateur. Le snob, aussi bien que l'amant, poursuit « l'être de fuite » et il n'y a poursuite que parce qu'il y a fuite. Chez Proust comme chez Dostoïevski c'est le déni d'invitation, le refus brutal de l'Autre, qui déclenche le désir obsessionnel. Le Sous-Sol projette sur le côté mondain de l'expérience proustienne une lumière aussi crue que L'Eternel Mari sur le côté érotique.

Le snob proustien se trouve placé devant les mêmes tentations que l'homme du souterrain, celle de la lettre au médiateur par exemple. Cette lettre se veut insultante mais elle n'est, au fond, qu'un appel angoissé. Gilberte Swann, désespérée de ne pas être reçue chez les Guermantes envoie à la duchesse une lettre un peu semblable à celle que médite l'homme du souterrain dans l'épisode de l'officier insolent. Dans Jean Santeuil, le héros écrit à ses condisciples persécuteurs une lettre où il implore leur amitié. Les messages de flatterie délirante qu'envoie Nastasia Philipovna à Aglaé, dans L'Idiot, s'inscrivent dans le même triangle que les lettres proustiennes

René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque