D'amour éternel - Laura Hemingway, Johannes Brahms - Marcel Proust : Tels nos regards furent un instant face à face, ignorant chacun ce que le continent céleste qui était devant lui contenait de promesses et de menaces pour l'avenir

D'amour éternel
(Von ewiger Liebe - Johannes Brahms)
Chant : Laura Hemingway (mezzo-soprano)
Piano : Hiroko Utsumi

Marcel Proust, 172. Ce n'était pas du tout de cette façon que je m'étais souvent, sur la plage, dans ma chambre, figuré que je connaîtrais ces jeunes filles. Ce qui allait avoir lieu, c'était un autre événement auquel je n'étais pas préparé. Je n'y reconnaissais ni mon désir, ni son objet ; je regrettais presque d'être sorti avec Elstir. Mais, surtout, la contraction du plaisir que j'avais auparavant cru avoir était due à la certitude que rien ne pouvait plus me l'enlever. Et il reprit, comme en vertu d'une force élastique, toute sa hauteur, quand il cessa de subir l'étreinte de cette certitude, au moment où m'étant décidé à tourner la tête, je vis Elstir arrêté quelques pas plus loin avec les jeunes filles, leur dire au revoir. La figure de celle qui était le plus près de lui, grosse et éclairée par ses regards, avait l'air d'un gâteau où on eût réservé de la place pour un peu de ciel. Ses yeux, même fixes, donnaient l'impression de la mobilité, comme il arrive par ces jours de grand vent où l'air, quoique invisible, laisse percevoir la vitesse avec laquelle il passe sur le fond de l'azur. Un instant ses regards croisèrent les miens, comme ces ciels voyageurs des jours d'orage qui approchent d'une nuée moins rapide, la côtoient, la touchent, la dépassent. Mais ils ne se connaissent pas et s'en vont loin l'un de l'autre. Tels nos regards furent un instant face à face, ignorant chacun ce que le continent céleste qui était devant lui contenait de promesses et de menaces pour l'avenir. Au moment seulement où son regard passa exactement sous le mien sans ralentir sa marche, il se voila légèrement. Ainsi, par une nuit claire, la lune emportée par le vent passe sous un nuage et voile un instant son éclat, puis reparaît bien vite.

Johannes Brahms, 4 Gesänge, Op. 43: No. 1, Von ewiger Liebe

D'amour éternel

Sombre, si sombre dans la forêt et les champs !
Le soir déjà tombe, le monde se tait.

Nulle part une lumière, nulle part une fumée,
Oui, même l'alouette se tait désormais.

Du village s'avance le garçon,
Il raccompagne sa bien-aimée chez elle,

La conduit le long des saules touffus,
Parle beaucoup, de mille choses :

« Si tu subis l'affront, si tu t'attristes,
Si l'on t'humilie à cause de moi,

Alors que l'amour se défasse bien vite,
Aussi vite qu'il nous unit jadis.

Qu'il s'en aille avec la pluie, qu'il s'en aille avec le vent,
Aussi vite qu'il nous unit jadis. »

La jeune fille répond, la jeune fille dit :
« Notre amour, rien ne le sépare !

Le fer est fort, l'acier plus encore,
Mais notre amour est plus fort encore.

Le fer et l'acier, on peut les forger,
Notre amour, qui le changerait ?

Le fer et l'acier peuvent se dissoudre,
Notre amour doit durer toujours. »

Texte original allemand
August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1798 - 1874)

Dunkel, wie dunkel in Wald und in Feld!
Abend schon ist es, nun schweiget die Welt.

Nirgend noch Licht und nirgend noch Rauch,
Ja, und die Lerche sie schweiget nun auch.

Kommt aus dem Dorfe der Bursche heraus,
Gibt das Geleit der Geliebten nach Haus,

Führt sie am Weidengebüsche vorbei,
Redet so viel und so mancherlei:

"Leidest du Schmach und betrübest du dich,
Leidest du Schmach von andern um mich,

Werde die Liebe getrennt so geschwind,
Schnell, wie wir früher vereiniget sind.

Scheide mit Regen und scheide mit Wind,
Schnell wie wir früher vereiniget sind."

Spricht das Mägdelein, Mägdelein spricht:
"Unsere Liebe sie trennet sich nicht!

Fest ist der Stahl und das Eisen gar sehr,
Unsere Liebe ist fester noch mehr.

Eisen und Stahl, man schmiedet sie um,
Unsere Liebe, wer wandelt sie um?

Eisen und Stahl, sie können zergehn,
Unsere Liebe muß ewig bestehn!"

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