D'amour éternel - Marine Chagnon, Johannes Brahms - Marcel Proust : Mais à l'époque où j'aimais Gilberte, je croyais encore que l'Amour existait réellement en dehors de nous
D'amour éternel
(Von ewiger Liebe)
Chant : Marine Chagnon (mezzo-soprano)
Piano : Ingmar Lazar
Concert Générations France Musique, le Live, enregistré le 04 mai 2019
Marcel Proust, 099. Plus tard, il arrive que devenus habiles dans la culture de nos plaisirs, nous nous contentions de celui que nous avons à penser à une femme comme je pensais à Gilberte, sans être inquiets de savoir si cette image correspond à la réalité, et aussi de celui de l'aimer sans avoir besoin d'être certains qu'elle nous aime ; ou encore que nous renoncions au plaisir de lui avouer notre inclination pour elle, afin d'entretenir plus vivace l'inclination qu'elle a pour nous, imitant ces jardiniers japonais qui pour obtenir une plus belle fleur, en sacrifient plusieurs autres. Mais à l'époque où j'aimais Gilberte, je croyais encore que l'Amour existait réellement en dehors de nous ; que, en permettant tout au plus que nous écartions les obstacles, il offrait ses bonheurs dans un ordre auquel on n'était pas libre de rien changer ; il me semblait que si j'avais, de mon chef, substitué à la douceur de l'aveu la simulation de l'indifférence, je ne me serais pas seulement privé d'une des joies dont j'avais le plus rêvé mais que je me serais fabriqué à ma guise un amour factice et sans valeur, sans communication avec le vrai, dont j'aurais renoncé à suivre les chemins mystérieux et préexistants.
Johannes Brahms, 4 Gesänge, Op. 43: No. 1, Von ewiger Liebe
D'amour éternel
Sombre, si sombre dans la forêt et les champs !
Le soir déjà tombe, le monde se tait.
Nulle part une lumière, nulle part une fumée,
Oui, même l'alouette se tait désormais.
Du village s'avance le garçon,
Il raccompagne sa bien-aimée chez elle,
La conduit le long des saules touffus,
Parle beaucoup, de mille choses :
« Si tu subis l'affront, si tu t'attristes,
Si l'on t'humilie à cause de moi,
Alors que l'amour se défasse bien vite,
Aussi vite qu'il nous unit jadis.
Qu'il s'en aille avec la pluie, qu'il s'en aille avec le vent,
Aussi vite qu'il nous unit jadis. »
La jeune fille répond, la jeune fille dit :
« Notre amour, rien ne le sépare !
Le fer est fort, l'acier plus encore,
Mais notre amour est plus fort encore.
Le fer et l'acier, on peut les forger,
Notre amour, qui le changerait ?
Le fer et l'acier peuvent se dissoudre,
Notre amour doit durer toujours. »
Texte original allemand
August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1798 - 1874)
Dunkel, wie dunkel in Wald und in Feld!
Abend schon ist es, nun schweiget die Welt.
Nirgend noch Licht und nirgend noch Rauch,
Ja, und die Lerche sie schweiget nun auch.
Kommt aus dem Dorfe der Bursche heraus,
Gibt das Geleit der Geliebten nach Haus,
Führt sie am Weidengebüsche vorbei,
Redet so viel und so mancherlei:
"Leidest du Schmach und betrübest du dich,
Leidest du Schmach von andern um mich,
Werde die Liebe getrennt so geschwind,
Schnell, wie wir früher vereiniget sind.
Scheide mit Regen und scheide mit Wind,
Schnell wie wir früher vereiniget sind."
Spricht das Mägdelein, Mägdelein spricht:
"Unsere Liebe sie trennet sich nicht!
Fest ist der Stahl und das Eisen gar sehr,
Unsere Liebe ist fester noch mehr.
Eisen und Stahl, man schmiedet sie um,
Unsere Liebe, wer wandelt sie um?
Eisen und Stahl, sie können zergehn,
Unsere Liebe muß ewig bestehn!"