Au cimetière - Anna Lucia Richter, Johannes Brahms - Marcel Proust
Au cimetière
(Auf dem Kirchhofe)
Chant : Anna Lucia Richter
Piano : Ammiel Bushakevitz
Wigmore Hall, Londres, octobre 2021
Marcel Proust, 413. Une fois de plus comme quand j'avais cessé de voir Gilberte l'amour de la femme s'élevait de moi, débarrassé de toute association exclusive avec une certaine femme déjà aimée, et flottait comme ces essences qu'ont libérées des destructions antérieures et qui errent en suspens dans l'air printanier, ne demandant qu'à s'unir à une nouvelle créature. Nulle part il ne germe autant de fleurs, s'appelassent-elles des « ne-m'oubliez-pas », que dans un cimetière.
Marcel Proust, 464. Et ma seule consolation qu'elle ne sût pas que je me mettais enfin à l'oeuvre était que (tel est le lot des morts) si elle ne pouvait jouir de mon progrès, elle avait cessé depuis longtemps d'avoir conscience de mon inaction, de ma vie manquée, qui avaient été une telle souffrance pour elle. Et certes il n'y aurait pas que ma grand-mère, pas qu'Albertine, mais bien d'autres encore dont j'avais pu assimiler une parole, un regard, mais qu'en tant que créatures individuelles je ne me rappelais plus ; un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés. Parfois au contraire on se souvient très bien du nom, mais sans savoir si quelque chose de l'être qui le porta survit dans ces pages. Cette jeune fille aux prunelles profondément enfoncées, à la voix traînante, est-elle ici ? Et si elle y repose en effet, dans quelle partie, on ne sait plus, et comment trouver sous les fleurs ?
Johannes Brahms
Au cimetière
Le jour s'en allait, lourd de pluie et agité de tempête.
J'avais passé devant maintes tombes oubliées.
Pierre et croix rongées, les couronnes fanées,
Les noms envahis d'herbe, à peine lisibles.
Le jour s'en allait, agité de tempête et lourd de pluie.
Sur toutes les tombes gelait ce mot : Fut.
Comme mortes de la tempête, les bières sommeillaient —
Et sur toutes les tombes fondait doucement ce mot : Guéri.
Auf dem Kirchhofe
Texte original allemand : Detlev von Liliencron
Der Tag ging regenschwer und sturmbewegt,
Ich war an manch vergeßnem Grab gewesen.
Verwittert Stein und Kreuz, die Kränze alt,
Die Namen überwachsen, kaum zu lesen.
Der Tag ging sturmbewegt und regenschwer,
Auf allen Gräbern fror das Wort: Gewesen.
Wie sturmestot die Särge schlummerten—
Auf allen Gräbern taute still: Genesen.