Terrence Malick, Proust et Dostoïevski. René Girard : La vérité du désir est la mort mais la mort n'est pas la vérité de l'oeuvre romanesque. Toutes les conclusions romanesques sont des commencements. Toutes les conclusions romanesques sont des Temps retrouvé

On met au compte des brumes féodales et religieuses tout ce qui, en fait, dépasse la révolte chez Dostoïevski et l'on se ferme ainsi la région suprême du génie romanesque. (...)

La vérité du désir métaphysique est la mort. Tel est le terme inévitable de la contradiction qui fonde ce désir. (...) Le masochiste s'acharne sur le mur aveugle de l'imbécillité : c'est sur ce mur qu'il finira par se briser. Denis de Rougemont le constate à la fin de L'Amour et l'Occident : « Ainsi donc, cette préférence accordée à l'obstacle voulu était un progrès vers la mort. » (...)

La vérité du désir est la mort mais la mort n'est pas la vérité de l'oeuvre romanesque. (...)

Toutes les conclusions romanesques sont des conversions. (...) La conclusion est donc toujours mémoire. Elle est irruption d'une mémoire plus vraie que ne le fut la perception elle-même. Elle est « vision panoramique » comme celle d'Anna Karénine. Elle est « reviviscence du passé ». L'expression est de Marcel Proust, mais ce n'est pas ici du Temps retrouvé, comme on se l'imagine aussitôt, que parle le romancier, c'est du Rouge et le Noir. L'inspiration est toujours mémoire et la mémoire jaillit de la conclusion. Toutes les conclusions romanesques sont des commencements.

Toutes les conclusions romanesques sont des Temps retrouvé.

Le narrateur de A la recherche du temps perdu se dirige vers le roman à travers le roman. (...)

Le romancier ne parvient au roman que s'il reconnaît un prochain dans son médiateur. Marcel doit renoncer, par exemple, à faire de l'être aimé une divinité monstrueuse et à se poser, lui-même, en éternelle victime. Il doit reconnaître que les mensonges de l'être aimé sont semblables à ses propres mensonges. (...)

C'est cette malédiction qu'exprime le fameux cri de Flaubert : « Mme Bovary, c'est moi ! » Mme Bovary fut d'abord conçue comme cet Autre méprisable auquel Flaubert s'était juré de régler son compte. Mme Bovary c'est d'abord l'ennemie de Flaubert comme Julien Sorel est l'ennemi de Stendhal, comme Raskolnikov est l'ennemi de Dostoïevski. Mais le héros de roman, sans jamais cesser d'être l'Autre, rejoint peu à peu le romancier en cours de création. Lorsque Flaubert s'écrie : « Mme Bovary, c'est moi », il ne veut pas dire que Mme Bovary est désormais un de ces doubles flatteurs dont les écrivains romantiques adorent s'entourer. Il veut dire que le Moi et l'Autre ne font qu'un dans le miracle romanesque. (...)

Le petit Ilioucha meurt pour tous les héros des romans dostoïevskiens et la communion qui jaillit de cette mort est une lucidité sublime à l'échelle du groupe. La structure du crime et du châtiment rédempteur transcende la conscience solitaire. Jamais romancier n'avait brisé aussi radicalement avec l'individualisme romantique et prométhéen.

C'est la dernière et la plus haute vague du génie dostoïevskien qui soulève cette conclusion des Frères Karamazov.

René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque

Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick

"Marina murmure : "L'amour qui nous aime... merci." (...) Il y a les arbres endormis et une goutte d'eau que la jeune femme lape de la langue. (...) Il y a un grand plateau balayé par les vents (...), des herbes rousses et brunes (...). Marina, métamorphosée (...), morte puis renée (...).

Que de chemin parcouru par Terrence Malick depuis les reconstitutions soigneuses des Moissons du ciel ! Quel travail de sculpture de son art pour parvenir à une telle expressivité dans l'épure, pour signifier et donner à sentir le travail de métamorphose (...). Nous porter jusqu'au petit château intérieur de l'âme, ce monument tout de pierres et de gris, fait d'eau, de vents et de marées, ce monument du silence qui enferme en ses recoins mille déserts et cache mille perspectives, mais au coeur duquel il y a une rose, rouge, qui attend et qui toujours s'ouvre... C'est le dernier plan du film, évidemment, la Merveille."

Philippe Fraisse, Un jardin parmi les flammes, Le cinéma de Terrence Malick, Editions Rouge profond, extraits des pages 205-208

(La rose rouge cachée au coeur du Mont Saint-Michel apparaît lors de la visite amoureuse, au début du film.)

Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
Olga Kurylenko : Marina, A la merveille, Terrence Malick
A la merveille, Terrence Malick
A la merveille, Terrence Malick
A la merveille, Terrence Malick
A la merveille, Terrence Malick

Marcel Proust / Terrence Malick : la femme de Dostoïevski